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  • : Le blog de j. DRIOL
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Texte Libre

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18 janvier 2008 5 18 /01 /janvier /2008 00:23

Moi, c’est les oiseaux qu’on avait à la maison qui m’ont décidé. Ceux que mon père a ramenés un jour du marché, dans une boîte à chaussures. On les a collés dans une cage bien trop p’tite pour qu’ils puissent faire autre chose que sautiller sur place et jouer à chat-perché.
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D’abord ils se sont tenus pénards. Puis ils ont commencés à siffler et à chier partout. Et plus ils chiaient, plus ils sifflaient. C’était comme si la fiente leur donnait de l’entrain, du cœur au ventre. J’ai passé des journées entières à les étudier nos oiseaux, à les voir se cogner comme des furies contre les barreaux métalliques de leur volière. Ça m’a conforté dans l’idée que voler devait être bien plaisant pour qu’ils ne pensent qu’à ça les oiseaux.
Le temps s’est alors écoulé avec voracité. Puis j’ai vu une émission à la télé. Très courte, où j’ai rien compris. Où j’ai seulement senti que les gens qui en parlaient, en savaient pas plus qu’moi du parachutisme. De ce sport qui fait pitié tant on a l’impression qu’il ne se pratique nulle part ailleurs qu’à la guerre, avec des anecdotes bien cruelles et émétiques.
J’ai suivi la filière commune. Les renseignements aux PTT qui m’ont renseigné avec bien du mépris dans la voix. J’étais loin de penser qu’il existait une fédération pour le parachutisme, une vraie, avec un président et des affiliés. Je me suis entretenu longuement au téléphone avec une jeune femme bien aimable et diserte. J’en avais besoin et cela me rassurait au fond qu’on puisse trouver des jeunes femmes introduites dans des endroits que mes plus mornes idées préconçues, couvraient d’ombres.
J’ai fini par débarquer dans un de leurs centres. Si je n’avais pas demandé ma route à quelques passants, je l’aurais manqué tellement c’est miséreux et perdu dans la campagne. Quand on découvre enfin les installations, ça renforce l’idée qu’on va accomplir quelques choses de pas ordinaire. 


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L’esprit pas tranquille, je suis entré dans leur temple, fait de tôles ondulées entièrement pigmentées de rouille. Comme je devais avoir l’air autant à ma place qu’un amxs 30 dans une buanderie, une âme compatissante tout en longueur s’est dirigée vers moi. Je lui fus gré de tous les efforts qu’il faisait pour s’empêcher de rigoler, ce grand escogriffe. Par la même occasion, je le haïssais très largement. Il m’a guidé gentiment, en me parlant doucement comme on parle aux infirmes. Ça devait l’agacer que je pose des questions sans arrêt, que je m’étonne de tout et pas toujours en compliments, parce qu’il a fini par me plaquer dans un bureau, où j’ai dû attendre patiemment qu’on s’intéresse à mon cas.
Quand mon tour fut venu, quelques mots suffirent pour me faire comprendre que l’argent est bien le combustible qui fait tourner la roue de ce qui est destiné à se mouvoir en ce bas monde. Et je comprenais du coup, pourquoi celle du parachutisme ne tournait pas très vite, pourquoi elle avait l’air si mal en point et si vétillarde. C’est qu’il lui en faut la garce ! De quoi vous désappointer un peu plus.

J’ai acquitté toutes les cotisations nécessaires avec une réticence de pingre, après que l’on m’ait démontré qu’elles étaient inévitables. Je me suis confondu en remerciements d’usage, puis je suis sorti faire plusieurs fois le tour des hangars comme on fait le tour du propriétaire. En y allant aussi largement de mes deniers, je n’arrivais pas à me persuader que je venais de réaliser une bonne opération.
Quand tout s’est tu autour des hangars, je suis allé dîner en ville où j’ai surveillé pour la première fois l’argent que je dépensais pour mon repas. Peu après, j’ai rejoint d’un pas mollasson la chambre que l’on m’avait impartie. Une chambre grande comme un placard à balais avec quatre petits lits bien crasseux qui

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sentaient le grizzli et la litière de chat. Un plaisir ! « La Myss Air » qu’elle s’appelait la bicoque… Elle avait une petite cuisine peinte avec le rouge qui sert à agacer les vaches. Le soir on y faisait la tambouille en cœur et c’était bien, surtout à cause des filles qui finissaient toujours par avoir pitié de notre estomac. C’est dans ce réduit, où les envies qu’on a de foutre le camp commencent sérieusement à s’enhardir, que j’ai fait la connaissance de Lola. Elle m’a tout de suite fasciné Lola. Une bien jolie fille, oui ! Elle venait de la lointaine Allemagne. Pas bêcheuse pour deux sous. Elle avait des seins comme on en voit dans les livres faits pour exciter les garçons. Ils étaient tellement énormes ses seins, tellement anachroniques que dans une si petite pièce on avait l’impression de se cogner sans arrêt contre eux. Ça devenait une obsession. Une de plus.
L’instruction commença le lendemain. Après le petit déjeuner on nous réunit en groupe, autour de celui qui devait nous affranchir de tout ce qui est utile à la pratique du parachutisme. Georges qui s’appelait l’instructeur. Un dur celui-là. Un qu’avait peur de rien. Un qui connaissait tout et qui savait tout faire.
- Moi j’chais les mettre en confiance mes élèves ! qu’il clamait partout l’instructeur, en jetant des regards bien vicieux à Lola. Et nous, nous l’écoutions pétris d’admiration et d’inquiétude : on attendait qu’il prophétise sur notre sort, le Georges.

L’instruction dura deux jours. C’était si long, qu’on en trainait les pieds comme des forçats pour passer d’un agrès à un autre. La chaleur nous tombait sur les épaules par quintal, prête à nous estourbir et même les vannes bien grasses de Georges, celles qu’il avait dû raconter des centaines de fois avec le même à propos, ne retenaient plus notre attention.
Quand le grand jour fût arrivé, celui pour lequel nous étions venus de si loin avec une curiosité à soulever des menhirs, le beau temps avait plié bagage. On lui en a voulu d’abord, puis on s’est ravisé. Parce qu’au fond de nous- mêmes et grâce aux bonnes calembredaines de Georges, nos élans s’essoufflaient. Les heures ont commencé à doubler en longueur, puis à tripler, pour devenir des journées à elles seules. C’est pas croyable s’qu’on s’ennuie sur un terrain quand on a plus rien à faire qu’à attendre. Pourtant l’imagination s’en accommode de l’oisiveté, elle ! C’est même ce qui l’inspire le plus ! J’avais beau essayer de la faire taire, de tuer le temps avec des riens, qu’elle s’échauffait la bougre. Faut dire qu’à l’ordinaire, on en passe des moments et de l’ardeur à l’imaginer le truc qui nous fera crever. Celui qui viendra à bout de notre sale carcasse ; tant on est persuadé de conjurer le sort, en le pressentant, en le soupesant, en le reniflant comme un melon. Maintenant que je l’avais rejoint le bout de mon existence, je m’en voulais de lui avoir consacré autant d’introspectives.

Pour Lola ça n’allait pas fort non plus. La nuit dernière, elle avait atterri dans la chambre de Georges. Elle avait abordé ce moment de réconfort comme une assurance sur l’avenir. Ses yeux de jais laissaient filtrer assez de lumière, pour que je devine qu’elle n’était guère plus avancée. Quand Georges lui pinçait les fesses pendant l’instruction, elle ne se trémoussait plus, elle ne gloussait plus avec un sourire espiègle. C’était un signe pour nous tous.

Sur le taxiway, la pluie continuait de s’épandre en petites flaques incolores ; parfois teintées par de fines veines d’hydrocarbures.

Dans ces moments où l’on a gardé bon espoir qu’il ne viendra jamais, il vint alors, « le trou », comme disent les habitués. Ce petit coin de ciel bleu qui entre deux amoncellements de nuages parfois fuligineux, transforme les centres en champs de manœuvre. Il y eu un court flottement. Puis une voix métallique s’éleva en crachotant des propos inaudibles à forts décibels. Dieu avait choisi de s'adresser à nous à l'aide d'un mégaphone. Fallait sortir les avions qu’il hurlait le haut-parleur, fallait pas mollir, fallait s’équiper. Fallait se préparer à quitter ce bas monde avec toutes ses saloperies et au pas de course encore ! Je n’étais pas pressé d’en finir moi ! Ah que non ! Dans une léthargie proche du coma, je restais là, planté comme un cornichon, à pérorer avec une lâcheté que je ne me connaissais pas. Sûr qu’y en avait des saloperies sur terre, des pas avouables, des qui sont tellement immondes, qu’elles devraient nous rendre tout guilleret à l’idée de les quitter pour de bon. Il n’y avait rien à faire, même vue sous ses angles les plus affligeants, la vie me tenait en otage. J’étais prêt, droit dans mes tongs, à me rendre à la première mauvaise raison venue pour foutre le camp.

Sous les hangars qui n’étaient plus martelés par la pluie, je me suis équipé sans enthousiasme. Georges se démenait pour nous comme un père pour ses ouailles. Il était pas toujours très fin Georges, on sentait bien qu’il n’avait pas inventé l’élastique de rappel, mais rien qu’il soit là, à nous distribuer des chiquenaudes bon enfant et à peloter consciencieusement Lola, ça nous rendait ces instants moins pénibles.
On nous a d’abord vérifiés méthodiquement, puis contre vérifiés. Le seul exercice ou on en redemandait. Puis nous nous sommes rendus à l’embarquement en rang d’oignons. Sanglés et harnachés comme des endives au jambon. On se dandinait gauchement et Lola n’avait vraiment plus rien d’érotique. Il avait même fallut lui donner un équipement spécial, à cause de ses seins qu’on ne savait pas où les mettre.
Je suivais en silence le groupe de condamnés que nous formions avec une envie de pisser qui me tenaillait férocement la vessie. Jamais je n’ai éprouvé une envie de pisser comme celle-là, prêt à faire n’importe où et sur n’importe quoi. Faut en déduire que la peur ça vous vient d’abord par le zizi, qu’elle est une sorte de fatalité diurétique, une maladie du sexe.

L’avion s’est approché avec un bruit qui le rendait encore moins réjouissant que dans nos plus hideux cauchemars. Nous sommes montés à bord lourdement en nous poussant et tiraillant les uns les autres. C’était pas facile, parce que le vent de l’hélice nous bousculait avec force et que les échappements nous crachaient à la figure. C’était à vomir…
L’avion décolla comme à la foire. Ça me rappelait le métro aux heures de pointe, avec son microcosme de puanteur et d’anonymat. On avait pas de place dans ce foutu avion tellement la peur en avait prise, elle, de la place. Comme une habituée des lieux. Elle s’en donnait à cœur joie, la vache ! Elle s’agrippait cruellement à mes viscères et au cassoulet de la veille, elle voulait plus les lâcher. Comme si l’on nous conduisait à la guillotine le derrière en avant.
J’en ai eu assez de retrouver ma figure sur le visage des autres, alors, j’ai essayé de tendre mon attention par-delà les hublots. Des nuages au loin s’enflaient comme des soupirs et j’ai compris que l’avion ne  ferait rien pour les éviter, qu’il foncerait dedans plein gaz.

Plus bas, sur terre, les tournesols s’étaient profondément inclinés vers le sol comme quelqu’un qui s’interroge. Les blés tendres, à perte de vue, sur lesquels l’été versait tout son or, se balançaient en rythme avec une douce ampleur.

Rapidement, l’avion s’est présenté sur son axe de largage. Quand Georges ouvrit toute grande la porte qui donnait pour moi sur l’abîme du monde, je fis un léger mouvement de recul. Je m’efforçais de ne pas regarder le sol et puisque je n’éprouvais aucun plaisir, d’être tout au plus indifférent. Je n’arrivais pas à retrouver mon calme. Curieusement, je n’éprouvais aucun vertige. Seulement la trouille, qui se refusait à me donner des ailes.

J’y suis pourtant allé… Oh ! Pas vaillamment. Plutôt sans réfléchir. Tout s’est passé très vite, dans un brouillard plus épais qu’au bord de la tamise. Et je crois que Georges à beaucoup suppléé à mon manque d’énergie. Lorsque j’ai repris pleine possession de mon esprit, je me suis retrouvé suspendu à un carré de tissu. J’avais bien senti qu’il se dégageait avec violence des élytres que l’on m’avait collés sur le dos mais de le voir là, au-dessus de ma tête, c’était drôlement rassurant. Comme si jusque-là, j’avais manqué d’air et que l’on me permettait de respirer à nouveau. J’éprouvais la sensation insolite de pouvoir toucher le silence tellement celui-ci sonnait fort à mes oreilles. Je me suis décidé à regarder le sol. Pas trop tout d’abord, parce que la voile claquait et tanguait anormalement. Je lui ai même parlé à la voile, pour l’apaiser, comme les palefreniers parlent à leurs chevaux. Tandis que j’essayais vainement d’attraper mes commandes, j’entendis une voix synthétique hurler quelque chose. Après plusieurs secondes de réflexions, je compris qu’il s’agissait d’un haut-parleur. Je l’avais oublié celui-là ! j’avais tout oublié. Il se donnait du reste bien du mal à me rappeler que c’est dans la nature des hommes d’aboyer pour tout et n’importe quoi.

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Le sol se rapprochait doucement. J’avais abandonné l’espoir d’attraper mes commandes et j’entendais le haut-parleur de plus en plus fâché contre moi. Je m’en foutais éperdument. J’essayais de déterminer l’endroit exact où je reprendrais contact avec le sol. Pas facile… Celui-ci commençait à retrouver du relief et un aspect familier. Une sorte de transfiguration lente et intangible. Je me suis surpris à serrer les jambes comme on me l’avait appris. Ce fut d’ailleurs, tout ce que je parvins à faire de ce que l’on m’avait appris. Mes pieds heurtèrent le sol. Les quatre fers en l’air, je pris conscience que l’épreuve avait cessée instantanément. Je pris aussi conscience que ma respiration était hâtive et que j’étais épuisé, vidé, essoré. Je me suis relevé lourdement, empêtré dans les suspentes. Je me suis même mis à gesticuler dans tous les sens et dans la direction d’un collègue qui venait de s’affaler non loin de moi. On a beau dire, ce n’est pas imaginable ce que ça rend euphorique et tartignol un saut en parachute. Je l’ai compris en voyant l’autre se mettre aussi à gesticuler comme une andouille. Nous sommes rentrés vers les hangars côte à côte. On se racontait à tour de rôle, parfois en se coupant la parole, comment ça s’était passé pour l’un et pour l’autre. Et on ponctuait chaque énormité, chaque flagornerie, de petits rires bien niais. Tandis que je gravissais prestement le comble de la fierté, je vis venir à notre rencontre un instructeur. L’air pas aimable et renfrogné comme un Pitbull. Il nous engueula. Moi surtout qui n’avais rien compris, qui avais fait tout le nécessaire pour me tuer. Et plus on se rapprochait de tout le monde, plus il braillait fort. Des fois qu’on est pas bien intégré le rôle écrasant dont il était investi.

J’avais éprouvé peu de plaisir et je peux affirmer qu’il m’a tout gâché cet âne. J’ai plié et rendu le matériel presque avec soulagement. Je me suis alors fait à nouveau incendier parce que ma fiche n’était pas correctement remplie et que je ne prenais pas soins du matériel. Entre temps, j’avais appris que Lola s’était cassée une jambe à l’atterrissage. Le médecin qui vint avec l’ambulance et qui s’était occupé d’elle, s’efforça de rassurer tout le monde avec des termes très techniques et des gestes savants. Dans un sourire goguenard, il expliquait que l’accident était prévisible. Que c’était foncièrement impossible pour Lola de voir le sol arrivé avec des seins comme elle avait. Que c’était carrément du suicide : une sorte de talon d’Achille mais en moins circonscrit. Ils sont restés là quelques instants à se tordre de rire, puis l’ambulance est repartie vers l’hôpital, dans le soir incandescent.

Je n’y suis jamais retourné. Dans les premiers temps, rien que l’idée m’était désagréable. Faut dire que l’on ne m’a jamais relancé. Un monde en somme, duquel il était facile de ne plus avoir de nouvelles. J’avais tellement entendu dire que c’était quelque chose qu’il fallait faire au moins une fois dans sa vie, que je désespérais, à présent, de n’y avoir rien trouvé d’inoubliable. Sûr que ça n’était pas un geste aussi naturel que de se gratter le derrière par exemple. Qu’on attrapait tellement la trouille qu’il en restait forcément un pt’it quelque chose. Mais, dans mon fort intérieur, j’avais peine à me convaincre que j’aurais souffert de m’en passer.
D’ailleurs, faudra un jour qu’on écrive là-dessus.



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