à la mémoire de Bruno ROQUET le blog de anciens du CERP de Bergerac
Ils étaient partout, de tous les temps, jusque dans les années 80. Leur discipline favorite étaient la voltige et la précision d’atterrissage.
Il fallait de l’abnégation pour se fader des sauts à 1200 m, enchainer 6 secondes de chute agitée, où le degré de rotation de trop ou de moins coutait des pénalités.
Le voltigeur était aussi concentré que le relativeur de compétition d’aujourd’hui, mais le fun en moins.
La tenue camo ou le jogging bleu règlementaire tenait lieu de costume de scène. Les combinaisons fluo de Zoo, fabriquées sur l’ile Barbe à Lyon, ont coloré les centres bien plus tard. Faut dire que la gay pride n’existait pas encore…
Les sorties d’avion étaient sobres : pas de paluches qui se frappent façon banlieue, pas d’extériorisation par des borborygmes avalés par le vent, rien. Rien que des regards durs, tristes parfois, absorbés qu’ils étaient par la volonté de la performance.
Certains n’arrivaient pas à faire abstraction de leur environnement et donnaient l’impression de prolonger leur formation professionnelle le week-end sur nos centres de loisirs.
L’effet était accentué quand un gradé les accompagnait. Le vouvoiement pour eux était de rigueur, comme le tutoiement l’était pour nous, les « locaux civils ».
Il y avait quand même des pointures, qui impressionnaient par leur carrure athlétique et leurs performances sportives.
Leur mode d’expression s’apparentait plus à des aboiements qu’à des suggestions mezza vocce, du style :
- Bordel ! Tu ramasses ton extracteur !
La fréquentation se passait bien, tout au plus pouvaient-il heurter les âmes sensibles par leurs relations exsangues d’empathie avec les débutants.
Des débutants, ils en avaient aussi. Des durs à cuir qui découvraient la discipline tardivement, comparativement à leurs états de service.
Je me souviens d’une équipe de légionnaires un week-end. Comme je n’avais rien à lire entre deux sauts, j’examinais discrètement leurs tatouages : enluminures, brevets para, « fleur à ma maman », constituaient un excellent dérivatif…
Le Pil, n’était pas disponible et c’est un Cessna 206 à pistons qui assurait les rotations.
Forcément, le temps de montée étant très long, l’aéronef décrivait de larges circuits sur les coteaux de Monbazillac et les rives de la Dordogne.
Le stick était constitué presque exclusivement de légionnaires et leur chef était moniteur-largueur.
Un débutant devait être le premier à sortir, et après un temps qu’il jugea suffisamment long, il imagina que l’arrivée sur zone était imminente.
En fait, le Cessna amorçait la énième ligne droite d’un hippodrome et ce n’était peut-être pas la dernière.
- On arrive sur zone ? cria avec angoisse le bidasse.
Ce devait être ses premiers sauts en commandés et il découvrait Bergerac.
Le sous-officier ne comprit pas la question, emportée dans la tourmente de l’air déchiré par l’hélice tripale et s’engouffrant par l’ouverture de la porte.
A défaut, il offrit un large sourire et un vague signe d’acquiescement qui se voulait rassurant pour le néophyte.
Le bidasse prit cela pour un ordre comminatoire et sauta sans réfléchir !
Nous sommes restés cois quelques secondes, n’osant croire ce que l’on avait vu : ce type avait sauté à plus de 10 nautiques du terrain !
…Chef ! Oui, chef !
Philippe MATHIEU
(Brevet TAP 421902)
Bergerac et les Belges
Ainsi, il y eut à Bergerac une période que je qualifierai de « Belge ».
L’un des cadres techniques était un ancien mercenaire qui avait fait les quatre cents coups avec le sulfureux Bob Denard : le Katanga, les Comores…
Pour moi qui n’avait jamais quitté le Périgord, il détonait dans le profil commun de mes relations locales.
Il portait des cheveux gris mi-longs, et arborait des bagouses aux doigts, dont l’une avec une tête de mort. La classe, quoi ! D’ailleurs en parlant de doigts, il lui en manquait un, arraché par une de ses fameuses bagouses, restée accrochée lors d’un saut à la charnière de la porte d’un avion.
Il avait aussi un coreligionnaire, ancien mercenaire comme lui, qui trainait sur le centre avec son land-rover et ses deux bergers allemands (ou belges), magnifiques bêtes par ailleurs.
J’ai oublié leurs noms à tous deux, mais pas leur truculence et leur propension à être inventifs et créer des problèmes inimaginables…
Ainsi, un jour le « belge aux deux chiens » ouvrit un bar à bières (belges, of course !) dans la misair.
A cette époque je n’avais pas parcouru le monde comme aujourd’hui et je découvrais avec délice, les bières bouchées avec des goûts exotiques. Ah… les Kriek à la cerise !
Il y avait aussi les incontournables Chimay, dont les capsules étaient propices à développer les capacités créatrices des assoiffés. Je me souviens que Ramon avait façonné un Pilatus avec les muselets (pour les non alcooliques, il s’agit de la cage en fil d’acier maintenant le bouchon). Son œuvre demeurait pendue au plafond.
Un jour, il s’était pris la tête avec un légionnaire tahitien qui avait eu le dessus « aux poings ».
Le bar avait été fermé le temps qu’il récupère sa vitalité et son amour propre. Une pancarte annonçait la couleur :
« Fermé jusqu’à ce que j’en ai envie » (sic)
François Lacorre qui avait été témoin de la bagarre m’avait rapporté que « les coups sonnaient comme dans les films ! »
J’avais eu l’occasion de sauter avec lui, un soir triste d’hiver où il faisait un froid de canard.
Nous nous battions pour être les derniers à sauter de l’avion afin de clôturer l’année, car le centre fermait ensuite pour la période hivernale.
Le compère belge était petit et râblé, moi j’étais plus grand et sec.
Au sol, il gelait déjà à pierre-fendre. Si on ajoutait la diminution de 6,5° par kilomètre d’altitude plus l’effet de peau dû à la vitesse de chute, c’est une température sibérienne (inférieure à -20°) qui nous avait saisie en quittant l’avion.
Dès que nous sommes sortis du Pil, il est devenu un point diminuant progressivement avec la chute. Adieu le VR, bonjour la chute en solo. Je hurlais de douleur à cause du froid qui torturait mes mains mal protégées. J’étais partagé entre l’envie de tirer tout de suite pour abréger mes souffrances dues à la vitesse, mais je me disais aussi que je resterais plus longtemps sous voile, ce qui augmenterait mon calvaire.
Bref, après une période de combat interne, je me suis retrouvé pantelant sous ma voile.
L’obscurité s’était déjà établie au sol, mais je distinguais un cercle de personnes se faisant autour du Belge, annonçant un problème.
Je me précipitais vers lui pour le découvrir grimaçant de douleur, avec le pied qui formait un angle droit avec la jambe.
- Les pompiers sont prévenus ! cria quelqu’un…
- Je ne veux pas partir à l’hôpital et laisser seuls mes clébards ! rétorqua l’ancien mercenaire…
- J’ai déjà vu çà une fois (il était Belge, je vous dis) au Katanga !
Là-dessus, il prit fermement son pied entre ses mains puissantes et …crac ! redressa le membre fracturé.
J’eus comme un haut le cœur masqué heureusement par le pin-pon claironnant en approche qui dériva l’attention…
Le même belge, eut un jour maille à partir avec la maréchaussée.
Un soir « d’étude œnologique », Ramon manipula le Colt 45 du mercenaire.
Las, le coup partit et la balle parcouru l’intérieur de la jambe de Ramon en faisant les dégâts que l’on imagine.
Le Belge amena Ramon à l’hosto, qui prévint comme il se doit les autorités comme il est de coutume dans tous les cas de blessures par arme à feu.
Le Belge qui eut la visite des dites autorités prit cela comme une « trahison » d’avoir été « vendu » par Ramon.
J’imagine que les 2 compères se sont réconciliés par la suite autour d’une Gueuse Lambic !
Pour clore le chapitre belge, le mercenaire aux bagouses a connu une destinée tragique. Il avait migré vers un centre para plus au nord de la Dordogne.
Un jour d’ennui, où il n’était pas possible de sauter, nos deux inséparables compères d’outre Quiévrain décidèrent de tâter du parachutisme ascensionnel avec une voile conventionnelle.
Le belge aux bagouses s’encorda au Land que pilotait son ami. Après une brève course, il percuta violemment le sol.
Même scénario : pompiers, « ce n’est rien », « j’ai déjà vu ça… »
Il mourut à l’hôpital la nuit suivante d’une hémorragie interne, dans l’indifférence générale.
Cet épilogue clôtura le souvenir des mercenaires belges.
Une constante sur les terrains : les gamins et les chiens !
Le parachutisme se démocratisant vers la fin des années 80 (comprendre « pratiqué pas seulement par des militaires »), les familles arrivant dans les centres ont entrainé dans leur sillage leurs marmailles et leurs chiens.
La cohabitation avec les avions n’était pas idéale, mais à cette époque les aérodromes ne ressemblaient pas à Guantanamo et demeuraient accessibles au péquin moyen.
Ainsi à Bergerac, il y avait toujours une flopée de cleps, qui arrachait ponctuellement un juron du plieur, lorsque la meute passait au galop sur une voile au sol.
De tous ces canidés anonymes, l’un d’entre-eux appartenait à personne et avait élu domicile au CERP : il s’appelait « Manière » et arborait fièrement sa robe couleur rouille de chien sans race.
Il se trouvait toujours un impétrant pour demander :
- Pourquoi il s’appelle « Manière » ?
Invariablement, on lui répondait :
- Parce qu’il est « roux », Manière !
Si vous me donnez les clés, j’aurais plaisir à vous adresser quelques photos d’époque, comme par exemple les sublimes Poças, ou François LACORRE, dont j’aurais aimé avoir des nouvelles.
En attendant, voici un cliché où je figure à gauche (j’ai oublié le nom de mes partenaires : Béatrice X et y Amagat ?)
J’aime bien cette photo pour la sensation de quiétude, d’apaisement, qu’elle apporte. On distingue à l’arrière plan Ramon, mais je ne me souviens plus du nom de l’agréable copain qui me faisait un clin d’œil.
- Quelqu’un pourrait-il le nommer ? (put… d’Alzheimer !)
Parfois, l’ambiance était plus dissipée à bord. J’y contribuais pour beaucoup.
Un jour, j’ai eu la lubie de jouer à « Coucou ! Qui c’est ? » en mettant mes mains en bandeau devant les yeux de François, notre pilote du moment.
Le problème était que nous venions juste de décoller. Etant déjà moi-même pilote privé, j’avais attendu que la check après décollage soit terminée.
Les copains ont moyennement apprécié car François s’est vengé, en le faisant payer à tous, par une manœuvre qui a retourné les estomacs délicats.
Comme beaucoup d’autres, j’étais amoureux d’elles à deux titres : elles étaient belles et elles constituaient une équipe !
Dans les moments d’attente trop nombreux, l’atavisme féminin ressurgit sous la forme du tricotage !
On ne pourrait évoquer le CERP sans son camion antédiluvien : bouton d’or !
- Avez-vous été lâché comme conducteur pour aller chercher les paras à la cible ?
- Moi, oui ! (fier)
Momo (Gérard Morazzani), est arrivé vers les années 80, comme Directeur de Centre.
Il venait de quitter l’armée avec le grade d’adjudant ou adjudant chef, je ne sais plus très bien.
J’ai le souvenir d’un anniversaire mémorable.
Pour fêter ses 40 ans, il était convenu d’un saut chez lui, au milieu des vignes de Montbazillac.
Nous étions plus de volontaires que l’avion pouvait légalement en contenir.
Un tirage au sort avait été improvisé pour désigner les heureux élus.
Nous avions tous mis nos noms dans un chapeau et François Lacorre est intervenu avant le tirage en disant :
- C’est bon, montez tous !
A la tombée du jour, avec les pleins partiels, le Pilatus n’avait eu aucune difficulté pour s’arracher. Je ne sais plus combien nous étions, mais nous étions tassés !
Je faisais partie du 1er passage , j’ai ouvert normalement et j’ai eu la surprise de voir passer Ramon en chute à hauteur de mes yeux. Il était du 2° passage et avait tiré très, très,…bas.
Ensuite, François nous avait gratifié d’un passage bas au-dessus de la maison, tous volets sorties, à très faible vitesse.
Un grand moment !
- Qui en était ?